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Altruisme réciproque

En biologie évolutive, l’altruisme réciproque est une forme d’altruisme dans laquelle un organisme fournit un avantage à un autre dans l’attente d’une réciprocité future. C’est l’équivalent de la stratégie « Tit for tat » de la théorie des jeux. Un exemple d’altruisme réciproque est le partage du sang chez la chauve-souris vampire, dans lequel les chauves-souris donnent du sang régurgité à ceux qui n’ont pas collecté beaucoup de sang eux-mêmes, sachant qu’ils peuvent eux-mêmes bénéficier un jour de ce même don ; les tricheurs sont mémorisés par la colonie et évincés de cette collaboration.

Dans une série de contributions révolutionnaires à la biologie au début des années 1970, Robert Trivers a introduit les théories de l’altruisme réciproque (1971), de l’investissement parental (1972), et du conflit entre parents et progéniture (1974). L’article de Trivers intitulé « The Evolution of Reciprocal Altruism » (1971) développe les mathématiques de l’altruisme réciproque et inclut l’altruisme réciproque humain comme l’un des trois exemples utilisés pour illustrer le modèle, arguant qu' »il peut être démontré que les détails du système psychologique qui régit cet altruisme peuvent être expliqués par ce modèle. » En particulier, Trivers argumente pour les caractéristiques suivantes comme processus fonctionnels subsistant l’altruisme réciproque:

Un système de régulation complexe

Le système subsistant l’altruisme réciproque sera sensible et instable parce qu’il paiera souvent pour tricher. Pour que l’altruisme réciproque fonctionne, donc, « la sélection naturelle favorisera rapidement un mécanisme psychologique complexe chez chaque individu régulant à la fois ses propres tendances altruistes et tricheuses et ses réponses à ces tendances chez les autres ».

L’amitié et les émotions d’aimer et de ne pas aimer

Les récompenses émotionnelles immédiates motivant le comportement altruiste et les partenariats seront la tendance à aimer les autres, à former des amitiés et à agir de manière altruiste envers les amis et les connaissances sympathiques. « La sélection favorisera le fait d’aimer ceux qui sont eux-mêmes altruistes » et à des fins de reproduction.

Agression moraliste

Comme les tricheurs profiteront de toute émotion positive motivant un comportement altruiste, il y aura une sélection pour un mécanisme de protection. L’agression moraliste va « contrecarrer la tendance de l’altruiste, en l’absence de toute réciprocité, à continuer à accomplir des actes altruistes pour ses propres récompenses émotionnelles ». Elle va également éduquer l’individu non réciproque et, dans les cas extrêmes, « sélectionner directement contre l’individu non réciproque en le blessant… en le tuant ou en l’exilant

Gratitude, sympathie et rapport coût/bénéfice d’un acte altruiste

La gratitude régule la « réponse humaine aux actes altruistes » et est sensible au rapport coût/bénéfice de ces actes. En outre, la sympathie « a été sélectionnée pour motiver un comportement altruiste en fonction de la situation critique du bénéficiaire ».

Culpabilité et altruisme réparateur

Si la tricherie est détectée, alors la réciprocité prendra fin, avec un coût considérable pour le tricheur, donc « le tricheur devrait être sélectionné pour réparer son méfait et montrer des preuves convaincantes qu’il ne prévoit pas de continuer sa tricherie un jour dans le futur ». Pour motiver un geste réparateur « la culpabilité a été sélectionnée chez les humains en partie pour motiver le tricheur à compenser son méfait et à se comporter de manière réciproque à l’avenir, et ainsi prévenir la rupture des relations réciproques ».

Tromperie subtile : l’évolution des mimiques

La sélection favorisera le mimétisme de tous les traits subsistant l’altruisme réciproque « afin d’influencer le comportement des autres à son propre avantage ». Une tricherie subtile peut impliquer une fausse agression moralisatrice, une fausse culpabilité, une fausse sympathie et « l’hypocrisie consistant à prétendre que l’on est dans une situation désespérée afin d’induire un comportement altruiste motivé par la sympathie ». De manière controversée, la possibilité résultante d’un équilibre évolutif stable avec un faible pourcentage de mimiques est utilisée pour argumenter en faveur de l’adaptabilité de la sociopathie.

Détection du tricheur subtil : confiance-valeur, confiance et suspicion

La sélection favorisera la détection de l’agression moralisatrice et « la méfiance envers ceux qui accomplissent des actes altruistes sans la base émotionnelle de la générosité ou de la culpabilité parce que les tendances altruistes de ces individus peuvent être moins fiables dans le futur ».

Mise en place de partenariats altruistes

Parce que « les humains répondent aux actes d’altruisme par des sentiments d’amitié qui conduisent à la réciprocité » la sélection va favoriser la stratégie « fais aux autres ce que tu voudrais qu’ils te fassent ». Les actes altruistes envers les étrangers et les ennemis peuvent induire l’amitié.

Interactions multipartites

Particulièrement à l’époque ancestrale, les humains auraient vécu en petits groupes soudés où « la sélection peut favoriser l’apprentissage à partir des expériences d’altruisme et de tricherie des autres, l’aide aux autres pour contraindre les tricheurs, la formation de systèmes d’échange multipartites et la formulation de règles pour des échanges régulés dans ces systèmes multipartites ».

Plasticité développementale

Comme les conditions dans lesquelles l’altruisme réciproque peut fonctionner varieront largement en fonction des conditions écologiques et sociales, et varieront dans le temps pour une même population « on s’attendrait à ce que la sélection favorise la plasticité développementale des traits régulant les tendances altruistes et tricheuses et les réponses à ces tendances chez les autres ». On ne peut s’attendre à ce qu’un simple système de développement réponde aux exigences d’adaptation, car « le comportement altruiste doit être dispensé en tenant compte de nombreuses caractéristiques du bénéficiaire (y compris son degré de parenté, sa composition émotionnelle, son comportement passé, ses amitiés et ses relations familiales), des autres membres du groupe, de la situation dans laquelle le comportement altruiste a lieu et de nombreux autres paramètres ». Un tel système ne pourrait fonctionner efficacement que grâce à la plasticité du développement qui permettrait l’éducation à la réponse appropriée, en particulier de la part des proches. Par exemple, l’éducation du sentiment de culpabilité pourrait permettre « les formes de tricherie que les conditions locales rendent adaptatives et décourager celles qui ont des conséquences plus dangereuses ».

  • Trivers, R.L. (1971). L’évolution de l’altruisme réciproque. Revue trimestrielle de biologie. 46 : 35-57.
  • Trivers, R.L. (1972). Investissement parental et sélection sexuelle. Dans B. Campbell (Ed.), Sexual selection and the descent of man, 1871-1971 (pp. 136-179). Chicago, IL : Aldine.
  • Trivers, R.L. (1974). Le conflit entre parents et progéniture. American Zoologist. 14 : 249-264.
  • L’évolution de la coopération, Robert Axelrod, Basic Books, ISBN 0465021212
  • Le gène égoïste, Richard Dawkins (1990), deuxième édition — comprend deux chapitres sur l’évolution de la coopération, ISBN 0192860925

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