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Pourquoi les scientifiques utilisent-ils des souris dans la recherche médicale ?

Par Amanda Maxwell

« La souris est le seul mammifère qui fournit une ressource aussi riche en diversité génétique couplée au potentiel de manipulation étendue du génome, et constitue donc une application puissante pour la modélisation des maladies humaines. »-Justice et al. (2011)

La recherche sur les animaux est un sujet émotionnel, inspirant des débats passionnés des deux côtés. Bien que certains trouvent cela inconfortable d’y penser, il est important de comprendre pourquoi des animaux comme les souris sont utilisés pour la science médicale.

Les souris remplissent un rôle spécial et important dans la recherche médicale. Comme les humains, les souris sont des mammifères, et leurs corps subissent de nombreux processus similaires, comme le vieillissement, et ont des réponses immunitaires similaires aux infections et aux maladies. Leur système hormonal (endocrinien) ressemble également beaucoup au nôtre. Ils sont également l’une des premières espèces, avec l’homme, dont le génome complet a été séquencé. Grâce à cela, nous avons appris qu’ils partagent environ 80 % de leurs gènes avec nous.

Le mois dernier, le Dr Donald Branch, scientifique du Centre pour l’innovation, ainsi que le Dr Anton Neschadim, de l’Université de Toronto, ont publié un nouveau modèle « Mouse models for immune-mediated platelet destruction or immune thrombocytopenia » dans Current Protocols.

Plusieurs percées importantes dans le domaine médical sont issues d’études menées sur des souris. Il s’agit notamment du traitement de la leucémie aiguë promyélocytaire – une forme de cancer du sang qui touche les jeunes adultes et qui est aujourd’hui l’une des formes les plus traitables de la maladie – ainsi que des protocoles de transfert de gènes pour la mucoviscidose, qui sont actuellement testés.

Des réalisations scientifiques récompensées par un prix Nobel, telles que la découverte de la vitamine K, la mise au point du vaccin contre la polio, l’invention de la technologie des anticorps monoclonaux, aujourd’hui utilisée pour le traitement du cancer, et l’élucidation de la façon dont les neurones dialoguent entre eux dans le cerveau, n’auraient pas eu lieu sans les souris.

Des manques en action : Une partie de ce que la science médicale manquerait sans la recherche sur les souris

  • Le développement de vaccins conjugués protéiques et les tests sur les souris ont permis d’améliorer la vaccination contre la méningite Hib (Haemophilus influenzae type b) pour les jeunes enfants.
  • Sans tests chez la souris pour montrer son rôle dans le blocage de l’action des hormones, le médicament tamoxifène ne serait pas disponible pour les femmes comme traitement et prévention contre le cancer du sein.
  • Des recherches récentes sur des souris portant un système immunitaire humanisé ont permis de découvrir de nouvelles cibles potentielles pour un nouveau vaccin contre la tuberculose.

Pourquoi les animaux sont-ils encore utilisés pour la recherche clinique ?

Bien que les progrès de la technologie de laboratoire offrent des alternatives telles que la culture de cellules et d’organoïdes (mini-amas de cellules en 3D qui se comportent comme de minuscules organes) pour la recherche clinique, les scientifiques obtiennent encore beaucoup d’informations précieuses en travaillant avec des animaux de laboratoire tels que les souris.

Ce qui se passe dans un corps vivant ne peut pas être étudié en utilisant un plat de cellules, par exemple. Souvent, la maladie implique plus qu’un seul organe, et pour tester de nouveaux médicaments, nous devons examiner un corps entier pour voir comment il répond à la thérapie.

Les chercheurs utilisent de nombreux autres systèmes pour l’investigation clinique – tels que la culture cellulaire, les explants, les sphéroïdes, la modélisation in silico et la culture d’organes – mais une souris offre ce que ces alternatives ne peuvent pas : un organisme entier et vivant dans lequel on peut étudier la maladie, la réponse au traitement, le développement du cancer et d’autres questions de recherche fondamentale.

Pourquoi des souris ? Physiologie

La physiologie et la taille des souris – elles sont assez petites pour être manipulées et logées facilement – sont les principales raisons de leur popularité en laboratoire. En 2013, les laboratoires canadiens ont utilisé un peu plus de 1,2 million de souris dans le cadre de leurs recherches, selon le Conseil canadien de protection des animaux, l’organisme national qui supervise la réglementation stricte entourant la santé et le bien-être de toutes les espèces de laboratoire.
(CAC Animal Data Report 2013)

Physiologiquement, les souris ressemblent beaucoup aux humains, bien qu’elles soient environ 3 000 fois plus petites (Partridge, 2013), mais elles ont des fonctions corporelles de base similaires, comme la production de cellules sanguines (hématopoïèse), la digestion, la respiration et le système cardiovasculaire. Bien que des différences existent, les souris réagissent de la même manière que les humains lorsqu’elles sont malades ou subissent un traitement.

Par exemple, grâce à des travaux sur des souris, les chercheurs ont récemment fait des progrès dans le traitement de la maladie du sang qu’est la thrombocytopénie à médiation immunitaire, une maladie auto-immune où l’organisme fabrique des anticorps qui ciblent les plaquettes pour les détruire avant qu’elles ne puissent être utilisées pour la coagulation du sang (Neschadim et Branch, 2015 ; Yu et al. 2015). Dans une autre étude, des tests effectués sur des souris atteintes d’un autre type de trouble de la coagulation ont montré comment les protéines contenues dans une transfusion de plasma restaurent la fonction de coagulation et arrêtent les hémorragies (Eltringham-Smith et al., 2015).

« Les modèles murins de diverses maladies humaines, dont la thrombocytopénie immunitaire, ont été relativement faciles à développer, car la physiologie et le métabolisme des souris ressemblent à ceux des humains. Ces modèles nous ont été extrêmement utiles, à moi et à mon équipe, pour étudier le PTI. Sans eux, nous ne serions pas aussi avancés dans nos recherches, à la recherche de médicaments qui pourraient contribuer à améliorer la qualité de vie de nombreux patients. Nous venons de publier des méthodes détaillées sur la façon de mettre en place et d’utiliser des modèles de souris pour le PTI. Un de ces modèles, notre modèle de souris à dose croissante, ressemble davantage au PTI humain que la plupart des autres modèles actuellement utilisés par les chercheurs. »

– Dr Donald R. Branch, PhD, scientifique, Centre d’innovation de la Société canadienne du sang

Pourquoi des souris ? Reproduction et diversité des espèces

Les souris se reproduisent aussi facilement, avec des grossesses courtes et des portées de grande taille qui sont importantes pour aider les chercheurs à créer leurs propres souris modifiées. Cependant, la plupart des laboratoires au Canada s’approvisionnent en souris non spécialisées auprès d’éleveurs commerciaux, recevant ainsi des animaux élevés à des fins précises avec un historique complet de reproduction. Pour les chercheurs, cela est très important : travailler avec des animaux qui présentent très peu de différences entre les individus augmente la valeur des résultats expérimentaux, puisque tous les animaux réagissent de la même façon. Pour encore plus de cohérence, nous sommes également en mesure de cloner des souris depuis 1997.

D’un autre côté, les souris sont aussi extrêmement diverses, ce qui signifie que les éleveurs commerciaux peuvent sélectionner des traits individuels pour créer des souches consanguines avec des caractéristiques uniques. Par exemple, la souris CBA a une faible incidence de développement de tumeurs mammaires (cancer du sein), tandis que la souris nue BALB/c est immunodéficiente, car elle est dépourvue de thymus. Ce type de propriétés propres à une race est utile, car il permet aux scientifiques de se concentrer sur des maladies spécifiques. Les chercheurs choisissent les souris mdx, dépourvues de la protéine musculaire dystrophine mature, comme modèles pour étudier la dystrophie musculaire de Duchenne, tandis que d’autres choisissent les souris diabétiques non obèses (ou NOD) comme bons modèles pour étudier les nouveaux traitements de l’auto-immunité (Wang et al. 2015).

Pourquoi des souris ? Modification génomique

En plus des stratégies de reproduction basées sur les variations naturelles, les chercheurs disposent également d’un certain nombre d’outils de modification génétique. Comme les souris partagent environ 80 % de leurs gènes avec les humains, la modification de l’ADN des souris est une méthode puissante pour créer des modèles animaux de maladies humaines. Des techniques telles que le système Cre/lox et l’outil plus récent d’édition de gènes CRISPR permettent aux chercheurs de supprimer, d’activer ou de réparer des gènes (Long, et al. 2016), recréant ainsi une maladie humaine chez la souris ou examinant ce qui se passe lorsqu’ils corrigent une mutation.

La suppression ou l’inactivation d’un gène crée ce que les scientifiques appellent une souris « knock-out ». Ils peuvent également créer des animaux transgéniques en faisant en sorte que les souris expriment des gènes humains ou portent des cellules humaines – voire des tissus. Grâce à ces techniques, les chercheurs peuvent créer des souris « humanisées » qui réagissent physiologiquement presque comme nous, ce qui leur permet d’étudier la façon dont la maladie modifie le corps humain et comment il réagit au traitement. Les chercheurs effectuent des travaux importants sur l’infection par le VIH et son traitement en utilisant des souris au système immunitaire humanisé (Schultz et al., 2012). Ils ont également testé de nouvelles thérapies qui empêchent les mères rhésus négatives d’être sensibilisées au facteur rhésus pendant la grossesse, en utilisant des souris HOD qui expriment une protéine recombinante spécifique des globules rouges (Bernardo et al., 2015).

Même s’il existe des différences clés entre les génomes de la souris et de l’homme, ces différences ne sont pas suffisantes pour écarter la valeur des souris pour l’étude des maladies humaines. Bien que les éléments de régulation puissent se trouver à des endroits différents, remaniés au cours des 75 millions d’années qui se sont écoulées depuis que l’évolution de la souris et de l’homme s’est séparée, leurs fonctions de base sont préservées.

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Sharing our genes

A propos de la souris…

Les chercheurs sur les animaux ont constamment à l’esprit les trois R :

  • Remplacer : Existe-t-il une expérience alternative qui ne nécessite pas d’animaux ?
  • Réduire : Pouvons-nous ajuster le plan expérimental pour utiliser moins d’animaux?
  • Affiner : Pouvons-nous minimiser l’impact de l’expérience sur les animaux ?

La recherche sur les animaux est étroitement réglementée au Canada, avec des contrôles et une surveillance stricts en place pour assurer le bien-être et le traitement éthique. Ces réglementations couvrent le logement, l’enrichissement de l’environnement, l’utilisation de médicaments et l’anesthésie, et même la reproduction de souris génétiquement modifiées. Les chercheurs doivent d’abord présenter leurs propositions expérimentales à des comités locaux et fédéraux pour établir un plan de soins aux animaux et évaluer des facteurs tels que la gravité, la conception et la valeur scientifique avant d’aller de l’avant avec les études.

La pénicilline, découverte à l’origine par Alexander Fleming en 1928, n’est pas apparue comme un traitement médical salvateur avant les travaux de Howard Florey, qui a testé son innocuité et son efficacité sur des souris plus de dix ans plus tard. Sans les souris (et d’autres animaux) dans la recherche, la médecine humaine et animale serait dépourvue de pénicilline, de vaccins contre la polio et la méningite, de thérapie par anticorps monoclonaux, de remède contre la leucémie aiguë promyélocytaire et de transfert de gènes pour la fibrose kystique.

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Mice in research

Pourquoi des souris ? Irremplaçable

Les scientifiques sont toujours à la recherche d’alternatives à l’utilisation d’animaux dans la recherche clinique, mais le rôle des souris comme modèles expérimentaux pour les maladies humaines est, à ce jour, irremplaçable. Malgré les différences entre les deux espèces, la recherche fondamentale menée sur des modèles murins humanisés de maladies fournit aux scientifiques des informations précieuses. L’utilisation de souris comme substituts permet aux chercheurs de voir d’abord comment les patients pourraient réagir au traitement avant de leur administrer le médicament – une étape essentielle pour garantir la sécurité des patients.

Société canadienne du sang – Une innovation de calibre mondial

Par ses activités de découverte, de développement et de recherche appliquée, la Société canadienne du sang favorise une innovation de calibre mondial dans les domaines de la transfusion sanguine, de la thérapie cellulaire et de la transplantation – apportant clarté et compréhension à un avenir de plus en plus complexe en matière de soins de santé. Notre équipe de recherche dévouée et notre réseau étendu de partenaires s’engagent dans la recherche exploratoire et appliquée afin de créer de nouvelles connaissances, d’informer et d’améliorer les meilleures pratiques, de contribuer au développement de nouveaux services et de nouvelles technologies, et de renforcer les capacités par la formation et la collaboration.

À propos de l’auteur

Amanda Maxwell est la principale rédactrice scientifique de Talk Science to Me, basé à Vancouver.

Les opinions reflétées dans ce billet sont celles de l’auteure et ne reflètent pas nécessairement celles de la Société canadienne du sang, ni celles de Santé Canada ou de tout autre organisme de financement.

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