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Ce sculpteur de SF est un « génie » certifié. Pourquoi n’est-il pas célèbre dans sa ville natale ?

  • Charles Desmarais
  • 2 ans plus tôt
Le sculpteur Vincent Fecteau travaille délibérément dans son atelier de San Francisco, sans phalange d’assistants. Photo : Paul Kuroda, Special to The Chronicle

« Il y a des façons d’être invisible dans ce monde », dit Vincent Fecteau avec désinvolture, juste au début de notre conversation. « Être un artiste n’en est pas une. »

Ce commentaire est révélateur. Fecteau est grand, le sourire facile, le visage et la carrure d’un mannequin. Sculpteur ayant reçu des prix importants et exposé dans les plus grands musées, il est représenté par la galerie Matthew Marks, l’un des marchands d’art contemporain les plus puissants. En 2016, il a reçu la plus haute accolade de toutes, lorsqu’il a été sélectionné pour la bourse MacArthur – la soi-disant bourse de génie.

C’est un homme qui pourrait difficilement s’effacer au second plan, peu importe comment il pourrait essayer.

Une œuvre sans titre de 2019 de Vincent Fecteau, qui a reçu en 2016 la bourse MacArthur – la soi-disant bourse de génie. » Photo : Nicholas Lea Bruno, Institut Wattis du CCA

Pour autant, Fecteau, 50 ans, a fait des choix qui ne correspondent pas au stéréotype de la star internationale de l’art. Vivre à San Francisco, loin du centre critique et commercial de New York. Travailler de manière délibérée, et sans une phalange d’assistants. De nicher avec son mari, l’architecte paysagiste Scott Cataffa, dans un quartier tranquille de Balboa Park, en faisant du bénévolat chaque semaine dans un hôpital local. Au-delà de quelques spécialistes et de son cercle d’amis personnels, il est le célèbre artiste de la Bay Area que peu de gens ici semblent connaître.

Pas depuis 2002, il n’a exposé dans sa ville d’adoption depuis près de 30 ans. Mais cela va changer avec l’ouverture d’une petite exposition d’œuvres récentes, le jeudi 5 septembre. Fidèle au profil bas qu’il préfère manifestement, l’exposition de Fecteau ne se tient pas dans l’un des grands musées, mais au Wattis Institute for Contemporary Arts – un lieu excellent sur le plan artistique, mais modeste en termes d’échelle et de rendez-vous, géré par le California College of the Arts.

Une œuvre sans titre de 2019 de Vincent Fecteau. Une exposition de Fecteau s’ouvre au Wattis Institute for Contemporary Arts, géré par le California College of the Arts. Photo : Nicholas Lea Bruno, CCA Wattis Institute

Fecteau travaille sur des groupes de sculptures en même temps, réalisant « huit ou neuf ou environ » pièces tous les ans et demi. A cette aune, les sept objets de la nouvelle exposition représentent à eux seuls un effort substantiel.

Mais si la plupart des sculptures, étant tridimensionnelles, offrent des vues multiples, selon l’endroit où l’on se place, elles ont très souvent un « front » – un point de vue privilégié. La sculpture récente de Fecteau ne fonctionne pas de cette façon. Chaque point de vue révèle ce qui semble être un objet différent, alors que nous suivons les changements contre-intuitifs de la forme, les variations subtiles de la couleur et de la surface. Nous pourrions appeler l’exposition de sept objets au Wattis une exposition de 28 œuvres d’art, et ce n’est pas fini.

Dans son studio de San Francisco, Vincent Fecteau remarque un léger écart qu’il va réparer sur l’une de ses sculptures sans titre. Photo : Paul Kuroda, Special to The Chronicle

Le studio de Fecteau est un garage converti immaculé et lumineux avec des fenêtres pleine hauteur et des portes vitrées s’ouvrant sur un jardin luxuriant. Lors de cette visite, neuf nouvelles œuvres, dont aucune n’approche les 1 mètre dans sa plus grande dimension, sont disposées dans la pièce. Deux chacune sur deux grandes tables de travail, les cinq autres sur le sol, elles sont pratiquement terminées, dit l’artiste.

L’ambiance dans la pièce est aussi ensoleillée que le jardin. Quand je demande quelle est la playlist musicale qui passe doucement en arrière-plan, il me dit que c’est la radio Elliott Smith. Ça a l’air gentil, mais c’est le type qui s’est suicidé de façon particulièrement macabre, me dis-je.

Une sculpture sans titre de 2019 de Vincent Fecteau. L’exposition de l’œuvre de Fecteau est la première à San Francisco depuis 2002. Photo : Nicholas Lea Bruno, CCA Wattis Institute

Fecteau me prévient joyeusement de ne pas faire de commentaires inconsidérés sur l’œuvre. « Si vous me dites : « Ça ressemble à un chat », je ne pourrai pas le voir autrement ». C’est comme si les objets avaient besoin de temps pour prendre leur propre identité, en dehors des associations que nous pourrions immédiatement évoquer.

On pourrait dire la même chose d’un être humain. La personnalité qu’il interprète en cet instant, la lentille à travers laquelle je pourrais le voir aujourd’hui, ce ne sont pas de simples données. Si ce ne sont pas des points de départ, ce sont des limites.

Je me risque tout de même à une observation sur les formes non conventionnelles qui se transforment et se mélangent à mesure que l’œil explore les mondes miniatures que Fecteau a créés. Certaines parties sont dures, architecturales ; d’autres surfaces sont douces comme des draperies, ou… charnues ? Il fournit le mot, avec un mince sourire : « Des membres », dit-il.

Une œuvre sans titre de 2019 Vincent Fecteau. « La seule chose qui m’intéresse en ce moment, c’est cette chose qui me mène à l’étape suivante », dit Fecteau. Photo : Nicholas Lea Bruno, CCA Wattis Institute

Emboldened, je réponds aux intrications sombres de la structure dans les œuvres, un espace qui semble plus piégé qu’enfermé. La façon dont les passages souterrains des autoroutes se sentent toujours, la façon dont Giambattista Piranesi a décrit ses prisons imaginaires au 18ème siècle. Je pose mes pensées comme une question : « Et si je disais qu’il y a quelque chose d’inquiétant dans tout ça ? »

Immédiatement, je sens que j’ai été impertinent. C’est une si belle journée, il est un hôte si généreux. Heureusement, il n’hésite pas. « L’année a été dure. » Après un moment, il ajoute : « Il y a des forces obscures dans ce pays ». C’est une réponse directe, sans artifice et sans préparation. Il fut un temps où il ne se sentait pas sûr d’une approche aussi instinctive de l’art, face aux demandes critiques de « rigueur théorique ».

Il y a des années, il a déclaré au magazine Art in America : « J’ai cet ami qui m’a dit un jour : « Tu sais, tu n’es pas un artiste intellectuel », et au début j’étais tellement horrifié et offensé. Puis j’ai réalisé qu’il avait raison et c’était tellement libérateur. Je ne suis pas cette personne, et je ne le serai jamais, et ce n’est pas grave. Cela m’a en quelque sorte permis de lâcher prise et d’embrasser une autre façon, plus directement intuitive, de penser aux choses. »

Cette expérience peut expliquer une certaine méfiance à l’égard des systèmes de l’establishment artistique qui l’ont si facilement accepté. Il fait une analogie avec ce qu’il considère comme une différence entre la spiritualité, qui s’apparente à l’art, et la religion où, comme dans le monde de l’art, « le pape porte des pantoufles Prada ».

Une pièce sans titre de 2019 de Vincent Fecteau. Il forme à la main des maquettes en argile résineuse qui sont scannées et agrandies pour produire des armatures en mousse plastique. Photo : Nicholas Lea Bruno, Institut Wattis du CCA

Maintenant, il se fait confiance. « La seule chose qui m’intéresse ces jours-ci est celle qui me mène à l’étape suivante », dit-il.

Pour la série d’œuvres actuelle, il a formé à la main des maquettes en argile résineuse qui ont ensuite été scannées et agrandies pour produire des armatures en mousse plastique. Celles-ci, il les a recouvertes et moulées avec du papier mâché, un matériau qu’il utilise souvent. De façon perverse, il a peint certaines de ses œuvres en jaune pâle – la même couleur que les formes en plastique créées par CNC – comme s’il renonçait à s’engager dans le drame ou l’émotion d’une couleur forte. D’autres, en revanche, sont d’un bleu profond ou d’un violet prédominant, les teintes de la nuit. De bleus.

Tout cela pourrait être orné de bouts de papier fin, ou peut-être d’attaches de matériel. Certains révèlent des taches inattendues de tons tachetés, ou peut-être une ombre sombre le long d’un bord. L’un d’eux présente des morceaux déchirés de papier journal et de petits ronds d’osier – une référence à une célèbre peinture cubiste de Picasso, je pense, bien que je sois certain qu’il n’aurait pas voulu l’ancrer à cette seule image. Un autre a des carrés de toile de jute collés et des tiges d’herbe séchée – un personnage campagnard émergeant d’un roulement dans le foin.

Une pièce sans titre de 2019 par Vincent Fecteau. Quand on lui demande s’il fait de l’art pour être aimé, il répond rapidement : « Absolument ! ». Photo : Nicholas Lea Bruno, Institut Wattis du CCA

S’il y a de l’humour dans l’œuvre, il y a aussi de l’empathie. Il peut regarder une pièce et réaliser, dit-il, « Cette pièce n’est pas heureuse. » Ou, « C’est inconfortable », et ensuite passer un jour ou plus à la modifier.

Il n’avait pas été facile d’organiser une visite de studio avec Fecteau qui inclurait une interview sur le disque. Je dis que je ne rapporterai pas sa réponse, mais je demande : fait-il de l’art pour être aimé ? « Absolument ! » répond-il, si rapidement que je veux être relevé de ma promesse, et il accepte.

« Toute cette histoire va m’embarrasser, de toute façon. »

« Vincent Fecteau » : De midi à 18 h, du mardi au samedi. Du jeudi 5 septembre au 9 novembre. Gratuit. CCA Wattis Institute for Contemporary Arts, 360 Kansas St., S.F. 415-355-9670. wattis.org

Explorez une sculpture de Vincent Fecteau ici:

« Je pense que c’est l’un des aspects les plus fascinants de la sculpture. Elle résiste vraiment à la photographie, à la vue unique. J’aime à penser qu’elle ne peut jamais être vraiment complètement retenue dans l’esprit et que cela rend son existence physique nécessaire. » – Vincent Fecteau