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Qui dirige la Russie ?

Introduction

Dans l’un de ses articles, l’économiste américain Richard Rahn affirme que « le régime politique actuel en Russie prétend être une démocratie de marché libre où les gens sont prêts à supporter les répressions douces existantes. » Pendant ce temps, Vladislav Surkov, le soi-disant « prince obscur du Kremlin », suggère l’inévitabilité d’une « démocratie souveraine », le régime politique où les pouvoirs politiques et leurs décisions cruciales sont supervisés et contrôlés par une nation russe diverse dans le but ultime d’atteindre le bien-être matériel, les droits et libertés, et l’égalité de tous les citoyens et nationalités.

On pourrait dire que des points de vue et des interprétations aussi diversifiés ne font que conduire à une controverse plus profonde dans la compréhension de la source du pouvoir en Russie. Cependant, afin de surmonter cette complexité, il est nécessaire de discuter d’un certain nombre de questions clés, qui peuvent être considérées comme la question centrale. Qui représente l’élite dirigeante en Russie ? Poutine jouit-il du pouvoir ultime dans le pays ? Est-il possible de parler de factions ou de groupes d’opposition au sein du « cercle de confiance » de Poutine ? En d’autres termes, qui dirige en Russie et qui est censé obéir ?

Dans cet article, je vais tenter de répondre à certaines de ces questions. Tout d’abord, j’aborderai un éventail de littérature académique qui se concentre sur la question du pouvoir, le rôle des groupes d’intérêt et les réseaux pénétrant l’élite politique russe. Cette section présente une analyse de trois approches distinctes de la question du pouvoir politique en Russie : le « féodalisme des clans », l’élite du pouvoir des affaires et « l’autoritarisme de Poutine ». La deuxième partie de l’article propose une théorie alternative nouvellement établie qui défend le concept de « Sistema de Poutine » basé sur des groupes d’intérêt distinctifs tels que les « silovarches », c’est-à-dire les représentants d’un nouvel ordre politique et économique combinant le capital industriel et financier avec les réseaux de la police secrète, les « technocrates » et les libéraux doux. Ainsi, j’ai l’intention d’élaborer la théorie et de la soutenir, premièrement, en présentant la structure initiale du « sistema » et ses mécanismes opérationnels, deuxièmement, en établissant des liens de causalité entre le « sistema de Poutine » et de nombreuses controverses de la politique étrangère de son administration.

Le document se termine par quelques remarques finales. Premièrement, la structure politique russe ne doit être ni perçue comme une entité homogène, ni caractérisée comme un système autoritaire ou une oligarchie d’affaires. Deuxièmement, le régime au pouvoir représente un système tripolaire complexe composé de trois groupes d’intérêts ou de « pouvoir » centraux : les libéraux, les technocrates et les « silovarques ». Enfin, une relation claire de cause à effet peut être reconnue entre les divisions politiques intérieures et certaines incohérences dans la politique étrangère, puisque les processus décisionnels dans ce domaine ne semblent pas dépendre uniquement du leader national, mais reflètent l’équilibre des forces politiques au sein de l’administration du président.

Féodalisme, autoritarisme ou simple business?

Le problème du pouvoir réel dans la Russie contemporaine a toujours été au centre de discussions académiques passionnées, ce qui a donné lieu à trois principaux courants de pensée : « Le féodalisme des clans », le pouvoir de l’élite commerciale qui fait pression pour ses propres intérêts, et ce qu’on appelle « l’autoritarisme de Poutine ».

Pour commencer, la théorie du « clansage féodal » dans la Russie de Poutine a d’abord été introduite par Kosals et Solnick, puis développée par Hutchings et Ledeneva. Bien que les chercheurs présentent des points de vue légèrement différents sur la nature du clanship, certains principes de base unissent les auteurs et doivent donc être soulignés. Tout d’abord, cette approche affirme clairement que la Russie n’a nullement entrepris une transition complète de son ancien régime totalitaire vers une « consolidation démocratique », c’est-à-dire que les règles démocratiques n’ont pas été établies et qu’il y a donc eu un échec dans l’obtention d’une large légitimité au sein de l’Etat. Solnick, en particulier, s’appuie sur le terme « inconsolidation prolongée », introduit pour la première fois par O’Donnell et Schmitter. Selon eux, l’État qui ne parvient pas à développer un système de pouvoir institutionnalisé, indispensable à la démocratisation, devient « rabougri, gelé, durablement non consolidé ». C’est la logique que les spécialistes de la théorie pro-clan appliquent à la Russie contemporaine, affirmant que le clanship s’est substitué à une transition démocratique dans cet État. C’est la deuxième hypothèse sur laquelle se fonde la théorie. Par « clan », Kosals entend principalement « une entité sociale fermée unie par l’intérêt commun de la survie dans l’environnement social soviétique hostile et liée par des relations de l’ombre régulées par des normes cachées. » Il est intéressant de noter que le système clanique soviétique a survécu dans une version complètement transformée, ajustée à la Russie d’aujourd’hui par l’établissement de systèmes ou de réseaux de pouvoir à plusieurs niveaux effectivement exploités par des « élites oligarchiques (clans) », également connues sous le nom de « groupes féodaux. » Comme l’affirme Solnick, ces « clans oligarchiques » contrôlent les ressources financières, les actifs de pouvoir, les médias de masse et les recettes fiscales, ce qui leur permet d’agir en tant que dictateurs ou « barons fédéraux et régionaux. » Troisièmement, ce prétendu clans oligarchique russe parvient à développer un mécanisme d’équilibre qui soutient et maintient le pouvoir dans un état d’affaiblissement. En effet, on peut distinguer au moins deux grands clans oligarchiques (la « famille de Saint-Pétersbourg » et la « famille de Moscou »). Selon Ledeneva et S. Michailova, ils allouent les ressources du pouvoir par le biais du « mécanisme du blat, c’est-à-dire l’utilisation des réseaux personnels afin d’obtenir des avantages matériels » et des « pratiques informelles », entendues comme « l’utilisation de contacts « monétisés » dans le sens où l’argent n’est pas exclu des transactions personnalisées, afin d’obtenir le pouvoir d’emplois bien rémunérés et de postes gouvernementaux clés. »

Le système de clans présenté comme les gardiens du pouvoir en Russie semble être attrayant et bien élaboré. Pourtant, deux défauts majeurs ne peuvent être ignorés. Premièrement, le système de pouvoir partagé par les clans oligarchiques semble convenir parfaitement aux années 90 russes plutôt qu’aux années 2000 contemporaines. En effet, juste après l’effondrement de l’Union soviétique, plusieurs groupes de « privatiseurs » sont apparus, occupant les marchés, les actifs financiers et militaires et exprimant très vite leurs revendications de pouvoir. Dans le contexte d’un État « faible », « défaillant » ou « en transition », les nouveaux entrepreneurs politiques ont réussi à accéder aux plus hauts rangs du pouvoir étatique et à influencer la politique de haut niveau. Cependant, la Russie de Poutine ne ressemble guère à l’État des années 90 : une forte centralisation du pouvoir, une dépendance économique verticale, une politique protectionniste de l’État, etc. ne seraient jamais associées à un État faible. Deuxièmement, le mécanisme d’équilibrage, effectivement proposé par Solnick et Kosals, ne semble pas se révéler dans la réalité politique russe. Le pouvoir central vertikal, les grandes entreprises nationalisées, l’autorité ultime d’une personne ou d’un groupe, le parti politique unique au pouvoir – tous ces traits caractéristiques, observés en Russie, contredisent clairement la logique de l’équilibre des pouvoirs. Enfin, il est déraisonnable de présupposer que les soi-disant « barons » partageraient nécessairement le pouvoir et les affaires. Comme ils n’ont pas suivi la voie de l’équilibrage mutuel dans les années 90, ils ne se conformeraient guère à ce cadre de pouvoir aujourd’hui.

La deuxième théorie, dans une certaine mesure, dérive de l’approche présentée ci-dessus, mais se concentre principalement sur les élites commerciales qui jouissent du pouvoir de l’État et font pression pour leurs intérêts économiques. Selon Rutland, Frye et Protsyk, les « oligarques d’affaires » sont apparus pendant la « privatisation sauvage » des années 90, lorsque les actifs économiques de l’État ont été saisis de manière chaotique et distribués aux entrepreneurs les plus habiles et les plus influents. Par la suite, ces personnalités se sont progressivement consolidées et ont formé un groupe des plus « puissants concurrents qui ont évincé leurs rivaux plus faibles, d’où la concentration du pouvoir économique et politique entre les mains d’un petit nombre d’individus ». Malgré la politique sévère de Vladimir Poutine à l’encontre des oligarques les plus puissants des années 90, une nouvelle « élite capitaliste » s’est formée au début et au milieu des années 2000 et garde actuellement les ficelles du pouvoir entre ses mains. Rutland affirme que 87 milliardaires ont une influence considérable : tout d’abord, ils influencent de manière significative le processus décisionnel de l’État et représentent un véritable défi, voire une menace potentielle, pour le président actuel ; ensuite, ils sont à l’origine du « saupoudrage » des revenus et des bénéfices du secteur pétrolier et gazier, nationalisé par l’État ; enfin, ces puissants individus parviennent à influencer de manière significative la politique de l’État par le biais de pratiques actives de lobbying et de « clientélisme ». Ce mécanisme se manifeste par « des appels clientélistes plutôt qu’idéologiques qui fournissent la base de la formation de liens entre l’État, le pouvoir et les citoyens. » Ainsi, un système particulier peut être observé : le président s’efforçant de contrôler les oligarques et leurs revendications de pouvoir d’une part, et les élites d’affaires gérant habilement les ressources, limitant ainsi le contrôle du président, d’autre part.

Cependant, cette approche tend à succomber aux mêmes critiques que la théorie du clanship. Tout d’abord, les capacités proposées des élites économiques russes, notamment un pouvoir économique considérable et leur capacité à influencer la prise de décision, semblent être exagérées. En effet, les cas de Boris Berezovsky et de Konstantin Lebedev, qui ont été contraints de s’enfuir à l’étranger pour sauver leurs capitaux et leur liberté, ne peuvent et ne doivent pas être ignorés car ils constituent une démonstration pour les personnalités du monde des affaires qui restent proches du pouvoir. Deuxièmement, la théorie de l’élitisme commercial néglige manifestement l’une des strates les plus influentes et les plus puissantes proches du président, à savoir les « siloviki » – « les personnalités issues de la structure de force » – qui occupent tous les postes de haut rang en échange de leur loyauté sans faille, et disposent de suffisamment de facilités et de ressources pour contrôler efficacement les oligarques et les grandes entreprises en général. Enfin, le phénomène largement répandu du clientélisme peut difficilement être attribué aux seules élites économiques, et peut donc être ciblé contre elles en réponse. Il est certain que le clientélisme en soi n’est pas susceptible de garantir un accès complet au pouvoir, surtout si l’élite puissante ne favorise pas un homme d’affaires particulier.

Enfin, la troisième approche majeure pour comprendre la nature et le statut actuel du pouvoir en Russie peut être caractérisée comme le culte de la personnalité de Vladimir Poutine. Cette théorie réunit des chercheurs exceptionnels tels que Kryshtanovskaya, Coulloudon, Becker, Gelman, Monaghan et Renz. Il est intéressant de noter que les auteurs présentent un système de pouvoir vertical dans lequel Poutine se trouve au sommet de la « pyramide militocratique », c’est-à-dire qu’il combine des ressources militaires et financières, entouré et pénétré par des « siloviki ». Cette construction fonctionne par le biais d’un parti hiérarchique fermement établi appelé « Russie unie », qui existe et fonctionne au profit d’un seul homme et de son petit cercle. Pour commencer, Kryshtanovskaya et White, dans l’un de leurs articles, décrivent le régime de Poutine comme un projet de « président militaire », ce qui implique un pouvoir illimité entre les mains d’un seul homme soutenu par des « siloviki ». Les chefs de régions, les représentants de l’administration présidentielle, les ministres fédéraux – tous ces postes stratégiquement vitaux appartiennent à des siloviki. En outre, le rôle crucial de Russie Unie ne peut être surestimé. Bien que ce parti politique soit dépourvu d’idéologie, il justifie néanmoins son existence sur la base du « plan de Poutine » (plan de l’agenda électoral de Poutine). Bien que Russie Unie semble « condamnée à jouer un rôle subalterne dans l’adoption et la mise en œuvre des politiques » et qu’elle fonctionne comme un outil plutôt que comme une institution décisionnelle, elle obtient néanmoins toutes les primes et tous les avantages supplémentaires en raison de son extrême loyauté envers le président. Enfin, comme l’affirme Kryshtanovskaya, la simple existence des partis dits « satellites » ne fait que conforter l’idée du culte de la personnalité en Russie et de l’absence totale de pluralité politique.

Pour autant, malgré la base empirique profonde de la théorie, celle-ci tend toujours à simplifier le système politique en Russie. Serait-il possible de prétendre que le pays entier dépend d’un seul homme dans toutes les sphères possibles ? Premièrement, le président actuel ne semble pas contrôler totalement les élites régionales, malgré les réformes introduites par Poutine au début des années 2000 ; cela est prouvé par les récentes élections des maires régionaux, qui ont entraîné la défaite d’un nombre considérable de candidats de Russie Unie. Deuxièmement, le dirigeant, même le plus puissant et le plus imprévisible, reste dépendant de l’élite du pouvoir qui l’entoure. Dans notre cas, il convient de mentionner non seulement les groupes d’intérêt remarquables pour leurs opinions conservatrices (A. Ivanov, V. Zubkov) et réactionnaires (V. Surkov, I. Sechin), mais aussi les dimensions relativement libérales représentées par German Gref, Alexei Kudrin, etc. Enfin, le régime fondé sur le culte de la personnalité est à peine stable et totalement peu fiable. Ainsi, il est très peu probable que la Russie contemporaine soit uniquement caractérisée par un style de leadership charismatique autoritaire ou totalitaire.

Y a-t-il un système dans le « Sistema de Poutine » ?

Les théories mentionnées ci-dessus tentent de répondre à une question apparemment facile : qui gouverne en Russie ? Cependant, aucune d’entre elles ne couvre pleinement l’ensemble des complexités pour lesquelles le régime contemporain est remarquable. Par conséquent, je mets en avant une autre approche, appelée « sistema de Poutine », proposée pour la première fois par un groupe de chercheurs, à savoir Ledeneva, Lipman et McFaul, Bremmer et Charap.

Le terme « sistema » a été inventé par Ledeneva et défini comme « un secret ouvert qui représente des perceptions partagées, mais non articulées, du pouvoir et du système de gouvernement en Russie. » Ce concept, contrairement à la « pyramide verticale » susmentionnée, reflète non seulement le système hiérarchique du pouvoir en Russie, mais révèle également ses « réseaux informels qui sapent le vertikal et manipulent les politiques officielles qui le renforcent. » Ledeneva et Bremmer présentent tous deux trois éléments caractéristiques du « sistema de Poutine ». Premièrement, les chercheurs démontrent de manière convaincante l’efficacité avec laquelle les « réseaux de copains » sont utilisés par Poutine pour exercer un « contrôle manuel » sur le système au niveau micro. En effet, il est difficile de surestimer l’importance des réseaux privés, qui pénètrent l’ensemble du système et constituent une base solide pour la gestion de l’État. Dans le même temps, le style de Poutine comporte encore certains éléments du « système d’administration-commande ». Deuxièmement, le régime politique contemporain de la Russie, malgré sa prétendue tendance à la démocratisation, représente une combinaison unique d' »orientation vers la richesse » et d’héritage soviétique. Cela se traduit par une privatisation inefficace et un manque de droits de propriété, y compris une législation appropriée dans ce domaine. Il y a donc une inefficacité totale du système d’application de la loi, qui est particulièrement vulnérable aux réseaux privés et au « blat ». » La troisième et, peut-être, la caractéristique la plus distincte du  » sistema  » est une ambivalence élevée, qui se révèle dans la  » vulnérabilité des individus […] la fluidité des règles et des contraintes importantes pour le leader  » l’imprévisibilité, l’irrationalité et l’anonymat. « 

En effet, il pourrait sembler, en raison de la propagande et des médias de masse pro-régime, que Vladimir Poutine est le seul homme de la maison. Cependant, si l’on observe attentivement, la maison est constituée de factions, profondément élaborées et classées par Ian Bremmer, Samuel Charap et Daniel Treisman comme « libéraux », « technocrates » et « silovarques ». Le premier groupe, qui est considéré comme le plus faible de l’administration, est partiellement représenté par d’anciennes et d’actuelles élites économiques, qui ont tendance à prôner un « capitalisme plus favorable au marché » comme la forme la plus efficace de l’économie. Parmi eux, on peut citer des noms tels que l’ancien président Dmitri Medvedev, l’ancien ministre du développement économique et du commerce, German Gref, et l’ancien ministre des finances, Aleksei Kudrin. Ce n’est pas une coïncidence si ces hommes politiques et d’autres appartenant au « groupe libéral » ont été évincés de leurs postes de direction. Cette tendance pourrait bien être le signe de batailles internes au sein de l’administration du président.

Le deuxième groupe d’influence, celui des technocrates, tend à être la faction la plus nombreuse ; il est dirigé par Aleksei Miller, le président de Gazprom, E. Nabiullina, le conseiller économique du président, Dmitry Livanov, le ministre de l’éducation et des sciences, et d’autres. Les technocrates sont chargés de superviser les cadres et la politique économique. La doctrine clé à laquelle ils se conforment stipule que la Russie a besoin de ressources financières, de cadres expérimentés et compétents, et de haute technologie ou d’innovation. D’une part, ils veillent à ce que seules les personnes loyales et fiables aient la possibilité de travailler dans et pour le gouvernement en excluant tout simplement les citoyens ordinaires de l’exercice du pouvoir. D’autre part, ils sont censés exercer un contrôle sur certaines branches stratégiques de l’activité socio-économique, comme le secteur bancaire, le pétrole et le gaz (Gasprom, Lukoil), les hautes technologies, les systèmes d’éducation, de santé, les ressources naturelles, etc. Ainsi, les technocrates jouissent d’une position intermédiaire très avantageuse : ils sont partiellement autorisés à développer l’économie, à la maintenir à un niveau décent et à filtrer les cadres les plus appropriés selon l’ancienne devise soviétique : « Le gouvernement est bon, le peuple ne l’est pas. »

Bien que le troisième groupe ait été partiellement mentionné ci-dessus, certaines remarques cruciales doivent être faites. Premièrement, il est extrêmement important de faire la différence entre les « siloviki » et les « silovarques ». Selon Charap, le premier groupe comprend principalement les représentants actuels ou anciens des « services armés, des organes chargés de faire respecter la loi et des agences de renseignement qui exercent le pouvoir coercitif de l’État ». Quant aux « silovarques », c’est un concept introduit pour la première fois par Treisman dans son article « Les silovarques de Poutine ». Il désigne par ce terme la couche socio-économique issue de « la fusion du capital industriel et financier et des réseaux de la police secrète. » En d’autres termes, l’universitaire combine simplement deux mots :  »silovik » et  »oligarchie ». Ce groupe tend à être le plus puissant, car il combine les ressources économiques et les réseaux policiers, et opère donc avec des outils très efficaces tels que l’argent, la surveillance et les réseaux personnels. Ce paysage politique s’avère très bénéfique pour la stabilité dans la sphère économique et politique, lorsque tant les dirigeants politiques que les entreprises nationalisées (Gazprom, Rosneft) continuent de prospérer et ne font face à aucune concurrence ou défi significatif.

On peut donc observer une machine politique complexe qui permet au président russe, Vladimir Poutine, et aux groupes qui le soutiennent de diriger l’État et de maintenir le contrôle du pays. La théorie du « sistema » combine parfaitement les approches autoritaires et factionnelles de la gestion de l’État, que Poutine et son équipe appliquent. A cet égard, il convient d’examiner comment la machine à gouverner de Poutine fonctionne et affecte l’élaboration des politiques.

Au cours des dix dernières années, les factions du « sistema » se sont révélées dans divers domaines : les grandes entreprises, la haute technologie, les médias de masse et, en particulier, la politique étrangère. À cet égard, il semble particulièrement intéressant de déterminer si et comment les relations entre les factions affectent la politique étrangère. Selon Jorgen Staun et Fyodor Lukyanov, il y a eu plusieurs moments qui ont signalé des changements relatifs dans la politique étrangère russe envers l’Occident, en raison de certains changements de pouvoir au Kremlin. La première période, le début de la présidence Poutine de 2000 à 2003, était tout à fait remarquable pour son approche « multi-vecteurs » ; elle combinait une coopération économique, militaire et culturelle intensive avec l’Ouest avec le partage d’intérêts stratégiques avec l’Est. Il est tout à fait remarquable que le président Poutine ait « accepté la présence de troupes américaines en Asie (Géorgie, Kirghizistan et Ouzbékistan) » et qu’il ait accepté, bien qu’à contrecœur, un deuxième élargissement de l’OTAN en 2004. En outre, Poutine a fait preuve de pragmatisme en menant la politique dite d' »économisation », visant à l’adhésion à l’OMC.

Cependant, en raison du changement majeur de pouvoir en 2003, lorsque les personnalités politiques clés Alexandre Volochine et Mikhaïl Kassianov ont été évincées ; Khodorkovski, l’un des principaux hommes d’affaires et oligarques, a été arrêté car il représentait une menace majeure pour les élections de 2003 ; et les silovarques ont occupé des postes clés dans l’administration du Kremlin, la politique étrangère russe « a commencé à suivre sa propre direction, hostile à l’Occident. » Pendant toute la période de 2003 à 2008, nous avons pu observer les conflits et les différends entre la Russie et l’Occident, notamment au sujet de l’OSCE, des conséquences de l’intervention humanitaire de l’OTAN au Kosovo, et des nombreuses violations des droits de l’homme en Tchétchénie soulignées par la Cour européenne de justice La liste des questions discutables peut continuer, et ne fait que prouver que le changement de pouvoir de 2003 entre les cercles intérieurs du Kremlin a eu un impact significatif sur la politique étrangère de l’État.

Enfin, les élections de 2008, lorsque Dmitri Medvedev est devenu le président russe, ont été perçues comme un moment critique symbolisant un changement de détente dans la politique étrangère. Là encore, comme en 2003, des remplacements de personnel ont eu lieu et certains postes gouvernementaux clés ont été accordés aux représentants des technocrates libéraux. C’est ainsi que s’est mise en place la politique de réinitialisation, qui a connu un certain succès, bien que, selon Fyodor Lukyanov, « dans ses limites étroites ». La présidence de Dmitri Medvedev a été remarquable par la normalisation progressive des relations américano-russes, qui s’étaient détériorées pendant les deux mandats de Poutine et de Bush Jr. De 2008 à 2011, la Russie est parvenue à régler le dilemme du transit afghan, à s’entendre sur les sanctions contre l’Iran, à adopter un nouveau traité START et même à signer un accord sur l’adhésion à l’OMC. Cependant, la politique étrangère relativement libérale de Medvedev a été remise en question par la guerre avec la Géorgie en Ossétie du Sud et en Abkhazie, inspirée et initiée par les silovarques. L’État a démontré ses prétentions néo-impériales, qui se sont avérées incompatibles avec la tendance libérale de la politique étrangère initiée et développée par Medvedev. Un tel revirement inattendu ne peut s’expliquer que par des jeux internes entre groupes d’intérêts concurrents.

Donc, cette politique étrangère fébrile, qui a pu être observée de 2000 à 2011, tend à conforter la nature factionnelle du sistema de Poutine. S’il est encore difficile d’évaluer son efficacité, son existence ne doit en aucun cas être ignorée.

Conclusion

Dans l’une de ses interviews, Vladimir Poutine a affirmé : « La Russie a besoin d’un pouvoir étatique fort et doit l’avoir. Mais je n’appelle pas au totalitarisme, bien que le renforcement de notre pouvoir étatique soit, parfois, délibérément interprété comme tel… » Dans cette déclaration affirmative, on peut observer la rhétorique d’un leader fort et intransigeant qui croit en sa capacité à faire sortir le pays de son état de faiblesse et à poursuivre sa croissance. En effet, au cours des dernières années, le discours de l’élite au pouvoir en Russie a prouvé la volonté de l’État de regagner de l’influence dans son voisinage et sur la scène mondiale. Cette rhétorique officielle suscite toujours un comportement méfiant et prudent chez les voisins et partenaires potentiels de la Russie. En outre, l’image de Poutine, en tant que dirigeant puissant, indépendant et conservateur, oblige assez souvent divers analystes politiques et universitaires à parler de modèles autoritaires de gestion de l’État exercés pendant sa présidence. Toutefois, il serait trop immature de simplifier à ce point la culture politique russe et d’ignorer, par exemple, que la cohérence de la politique étrangère russe a été profondément affectée par la structure factionnelle de l’administration du président. De cette façon, les luttes et les conflits constants entre les groupes de pouvoir ont principalement conduit à des contrastes flagrants dans la politique russe envers l’Occident, les États-Unis en particulier.

Il est donc, tout d’abord, utile de répéter que le système de pouvoir russe ne semble pas aussi homogène qu’il n’y paraît. Dans la Russie d’aujourd’hui, le président n’est pas un souverain absolu mais un personnage politique clé susceptible d’être soumis à des influences internes et externes, à des luttes de pouvoir et à des affrontements internes entre au moins trois groupes d’intérêts. Deuxièmement, la corrélation des forces, ou l’état des lieux dans l’administration du président, peut avoir une influence significative sur la politique étrangère – ses tendances générales et ses résultats. Dans le même temps, le sistema de Poutine est loin d’être caractérisé comme une entité chaotique déchirée par des controverses sans fin. Au contraire, il possède une structure à trois composantes avec un superviseur, plutôt qu’un autocrate. Il préside au sommet du système, ce qui contribue à contrebalancer la politique ou provoque parfois des controverses pendant la période de transition du pouvoir, comme cela s’est produit avec la présidence de Medvedev. Ainsi, la question « qui gouverne en Russie » pourrait être réglée si seulement nous embrassons la complexité interne du régime politique de ce pays.

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Ledeneva, p.150

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Ibid

R. Sakwa, Poutine : le choix de la Russie, Taylor & Francis Group, 2004, p.258

Écrit par : Anna Derinova
Écrit à : Université d’Europe centrale
Écrit pour : Matteo Fumagalli
Date de rédaction : 10 mars, 2013

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