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Libye : Comment le colonel Kadhafi continue de hanter les vivants

La dépouille du colonel Mouammar Kadhafi a été enterrée en secret dans le désert de Syrte en octobre 2011, mais son fantôme continue de hanter le monde sans répit. Il y a même une personne qui prétend avoir vu le Guide prier dans la steppe du sud du Sahara, au Tchad, en 2019.

Début octobre, les paquets de billets de banque moisis et délavés saisis par des enquêteurs français dans une cave de Limoges, en France, étaient un rappel tangible du désormais légendaire butin disparu de Kadhafi.

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Les billets, chargés d’histoire, sont reconnaissables : ils font partie des 160 millions d’euros de billets en coupures de 100 et 200 euros imprimés et numérotés en 2010 par la Deutsche Bundesbank, la banque centrale allemande, sur ordre de Kadhafi. Stockés dans une chambre forte de la Banque centrale de Libye à Benghazi, certains billets sont devenus humides et moisis après la rupture d’un tuyau à proximité.

Blanchiment d’argent à grande échelle

À la fin de 2017, lorsque les islamistes ont fui Benghazi alors que l’Armée nationale libyenne (ANL) du général Khalifa Haftar prenait le contrôle de la ville, le butin a été emporté par Saddam Haftar, l’un des fils du général et le chef d’une brigade. Saddam a utilisé les 80 millions d’euros sortis indemnes de la fuite d’eau pour acheter des armes.

L’autre moitié souillée des billets a participé à un blanchiment d’argent à grande échelle.

Traversant la Turquie, ils ont rejoint l’Europe par petits lots, achetés à une fraction de leur valeur faciale. Le couple arrêté à Limoges avait acheté sa part du butin avec une remise de 50 à 75 % du coût des billets neufs. Ils ont mis la main sur 75 000 euros, soit un millième du jackpot maculé.

Non loin du Limousin, en France, d’autres biens sortis depuis longtemps du trésor de Kadhafi rendent l’ancien président français, Nicolas Sarkozy, très nerveux. Le 24 septembre, la cour d’appel de Paris a donné son feu vert à une enquête, malgré les efforts de Sarkozy pour la contester, menée par Mediapart, qui a publié il y a huit ans un document libyen mentionnant un versement de 50 millions d’euros – sous forme de valises remplies de billets de banque – effectué pour la campagne présidentielle de 2007 du candidat de la droite.

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L’enquête menée par les juges anticorruption Aude Buresi et Marc Sommerer peut donc se poursuivre. En mars 2018, Nicolas Sarkozy et huit autres personnes ont été mis en examen pour « corruption passive, recel de détournement de fonds publics libyens et financement illégal de campagne électorale ».

Quelques semaines plus tôt, l’ex-président français avait publié le premier tome de ses mémoires, Le temps des tempêtes, dans lequel il règle quelque peu ses comptes après la mort de Kadhafi, puisqu’il décrit le dirigeant libyen comme ayant « un esprit malade », le qualifie d' »égoïste pathologique » et observe qu' »il dégageait de l’insatisfaction ».

« Le prix à payer »

Pourquoi alors le dirigeant français a-t-il réservé un accueil royal parisien à une telle personne en cette année électorale ? Sarkozy écrit dans son livre que c’était « le prix à payer » pour obtenir la libération des infirmières que Kadhafi avait emprisonnées, mais le Guide libyen semblait avoir d’autres idées.

Selon Zahra Mansour, l’un des anciens gardes du corps du leader qui a été interviewé par la chaîne de télévision française France 2 en 2018, Kadhafi lui a dit ce qui suit : « Zahra, ne t’inquiète pas, si Sarkozy est si gentil, c’est parce qu’il nous paie simplement notre dû. »

L’honnêteté de l’ancien garde du corps ne semble pas avoir suscité la gratitude de la France, puisque l’Office de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du pays a rejeté la énième demande d’asile de Mansour en décembre 2019 au motif qu’elle était impliquée dans le régime déchu de Kadhafi.

Un autre proche du colonel au statut juridique incertain n’est autre que son propre fils et successeur désigné, Saïf al-Islam Kadhafi, localisé par la Cour pénale internationale (CPI) en novembre 2019 à Zintan, au sud de Tripoli, où, selon des sources moins officielles, il se trouvait depuis sa capture en 2011.

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Il est recherché par Tripoli, car un tribunal de cette ville l’a condamné à mort en 2015 et a refusé de l’amnistier. En mars 2020, la Chambre d’appel de la CPI a confirmé la recevabilité de l’affaire contre Saif al-Islam pour crimes contre l’humanité, mais les autorités de Zintan l’ont officiellement libéré en 2017.

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Il n’a toujours pas refait surface depuis qu’il a annoncé sa candidature en 2018 à une future élection présidentielle. Si l’accord de principe conclu fin septembre entre les factions libyennes rivales à Bouznika, au Maroc, se concrétise – prévoyant l’organisation d’élections d’ici avril 2022 – l’héritier supposé du Guide pourrait rapidement réapparaître, comme une carte brandie par un clan ou un autre, ou comme un acteur politique véritablement indépendant.

Un cauchemar pour le royaume wahhabite

Alors que son fils se tait, la voix du Guide est sortie de sa tombe pour hanter les rêves des dirigeants saoudiens. En mai, une conversation entre le dictateur libyen et le ministre des Affaires étrangères d’Oman, enregistrée quelque part entre 2005 et 2007, a été divulguée.

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Dans l’enregistrement, Kadhafi parle de son plan pour diviser l’Arabie saoudite et se débarrasser des factions religieuses wahhabites et de la famille royale saoudienne. En 2011, une vague de protestations à Qatif, une ville située dans la province orientale à majorité chiite et riche en pétrole, a fait passer ce scénario cauchemardesque pour une possibilité réelle. Les manifestations ont été violemment réprimées tandis que la guerre éclatait en Libye, inaugurant une période durable de division.

Pour beaucoup, le chaos qui a suivi l’éviction de Kadhafi est leur souvenir le plus douloureux de Kadhafi et de son système de Jamahiriya. « Avant que le conflit n’éclate en Libye, avez-vous déjà entendu parler d’un homme noir, d’un Africain, qui se faisait exploser pour tuer d’autres Africains ? Le trafic de drogue et d’êtres humains n’existait pas avant le conflit en Libye. Nos pays avaient des relations pacifiques », a déclaré le président tchadien Idriss Déby Itno lors d’une interview fin 2019 sur Radio-France Internationale.

« Nous avons appris la décision d’intervenir en Libye par la radio. Aujourd’hui, c’est nous qui en subissons les conséquences », a déclaré le président nigérien Mahamadou Issoufou quelques jours plus tard.

« Nous avons appris la décision d’intervenir en Libye par la radio.