Articles

Histoire 540 : France 1600-1815

Histoire 540 : France1600-1815 Prof. JeremyPopkin

La crise du milieu du 17ème siècle en France : LaFronde (1648-1653)

L’augmentation régulière du pouvoir royal en France a été dramatiquement interrompue en 1648 par le déclenchement d’une série de contestations de l’absolutisme qui ont été connues collectivement comme la Fronde. De 1648 à 1653, la Fronde a plongé la France dans une version quelque peu atténuée des troubles qu’elle avait connus pendant les guerres de religion. Le roi est chassé de sa capitale, plusieurs provinces se révoltent, des revendications révolutionnaires sont formulées pour que les magistrats, les nobles et même une partie des gens du peuple puissent participer au gouvernement. La Fronde s’est toutefois terminée par la restauration de l’autorité royale absolue plutôt que par un changement du système de gouvernement français. Pour les historiens, la Fronde soulève des questions fascinantes sur l’échec de la résistance à se développer en une véritable révolution, comme celle qui s’est produite en Angleterre presque au même moment (1640-1660) ou celle qui s’est produite en France elle-même en 1789.

La mort du cardinal de Richelieu en 1642 et de Louis XIII en 1643 a plongé la France dans une autre période d’incertitude, comme celle qui avait suivi la mort d’Henri IV en 1610. L’héritier du trône, le futur Louis XIV, n’a que cinq ans. Sa mère, Anne d’Autriche, devient régente, assistée du cardinal Mazarin, un diplomate italien recruté par Richelieu dans les années précédant sa mort. Quelques années après la mort de Louis XIII, ils vont se trouver confrontés à une crise qui faillit devenir une révolution : la Fronde, une série de soulèvements qui semblent pendant plusieurs années sur le point de renverser le système de monarchie absolue laborieusement créé par Henri IV, Sully, Louis XIII et Richelieu. La faiblesse de la Fronde se révèle d’emblée dans son nom, tiré d’un jeu d’enfants jouant avec des frondes (« frondes » en français). Anne d’Autriche et Mazarin n’ont pas à faire face aux conflits religieux auxquels Catherine de Médicis ou Marie de Médicis ont été confrontées, mais ils ont suffisamment de problèmes. Comme sous les régences précédentes, les nobles de haut rang, tels que le prince de Condé, premier général de France, et le duc d’Orléans, frère cadet de Louis XIII, revendiquent leur droit d’exercer une influence politique. À Paris, les juges du Parlement, la principale cour de France, ainsi que les membres des autres cours royales, contestent l’autorité dugent. Une autre menace pour l’autorité royale vient du chef de l’Église catholique à Paris, le cardinal de Retz. En tant que « patron » du clergé de la ville, il contrôlait un réseau dont l’influence s’étendait à toute la population.

Depuis 1635, la France était pleinement engagée dans la guerre de Trente Ans, luttant contre les Habsbourg espagnols. Le coût élevé de la guerre avait contraint Richelieu à augmenter les impôts à des niveaux records, créant un mécontentement féroce qui s’était traduit par une série de rébellions paysannes à la fin des années 1630. De nombreux fonctionnaires royaux sont également contrariés par le poids des impôts. Les juges du Parlement étaient réticents à approuver des taxes impopulaires sur le reste de la population, et ils étaient également préoccupés parce qu’ils savaient que l’impôt sur la paulette, qui garantissait leur propriété de leurs offices, devait être renouvelé en 1648. Mazarin avait l’intention d’utiliser l’expiration de la paulette comme un outil de négociation pour faire pression sur les juges afin qu’ils acceptent ses autres propositions fiscales.

Mazarin était particulièrement soucieux d’éviter une crise intérieure en 1648 car il s’attendait à une fin victorieuse de la guerre de Trente Ans. S’il pouvait trouver l’argent nécessaire pour maintenir l’armée française en campagne, il serait en mesure de parvenir à un accord qui affaiblirait considérablement l’ennemi français, l’Espagne.

Dans leur anxiété à faire passer de nouveaux édits fiscaux, Anne d’Autriche et Mazarin poussent les juges du Parlement trop loin. Le 15 janvier 1648, ils amènent le roi âgé de neuf ans à une session formelle de la cour, appelée lit de justice, pour forcer les juges à enregistrer une mesure fiscale impopulaire. Les juges exercent leur droit de remontrer ou de critiquer l’édit, ce qui déclenche une série d’événements qui aboutissent à un appel aux juges de tous les Pariscourts à se réunir pour envisager des réformes dans le royaume. Le 26 juin 1648, agissant sans l’approbation du Régent, le Parlement convoque ces juges dans un corps appelé la Chambre Saint Louis. Cette date marque le début de la Fronde. Des manifestations de rue, organisées par Retz, montrent que les juges ont un fort soutien populaire.

Les frondeurs concentraient leur colère surtout sur Mazarin. Ils le dénoncent comme un étranger qui n’a aucun respect pour les lois et les institutions de la France, et comme un intrigant qui utilise son influence sur Anne d’Autriche pour s’enrichir et ruiner le pays. Paris est inondé de pamphlets imprimés appelés mazarinades, des attaques personnelles vicieuses contre le ministre, « cette canaille étrangère, ce jongleur, ce comédien, ce voleur célèbre, ce bas Italien qui n’est bon qu’à être pendu », comme le dit l’un d’eux. Anne, elle-même étrangère, resta néanmoins fidèle à Mazarin tout au long de la Fronde, et il se peut même qu’elle l’ait secrètement épousé, bien que des preuves définitives manquent.

La convocation de la Chambre Saint Louis fut un défi dramatique à l’autorité royale. Elle ressemblait aux débuts de la Révolution anglaise de 1640, lorsque le Parlement avait défié le roi Charles Ier. Cependant, l’une des raisons pour lesquelles les deux mouvements ont suivi un cours très différent est que les juges défiants n’ont pas réussi à construire une large base de soutien. Au départ, des nobles comme Condé et Orléans sont restés fidèles à Anne et à Mazarin.

Lorsqu’ils ne parviennent pas à maîtriser l’agitation à Paris, Anne et Mazarin décident de fuir la ville, en emmenant le jeune Louis XIV avec eux, et menacent d’un siège militaire de la capitale. Le 8 janvier 1649, la famille royale se réfugie dans le faubourg Saint-Germain.

L’effondrement de l’autorité centrale à Paris entraîne des mouvements de frondeurs dans de nombreuses provinces françaises également. En janvier 1649 à Aix-en-Provence, par exemple, les juges du parlement local ont mené un soulèvement populaire contre le gouverneur royal, qui avait reçu l’ordre de les remplacer par des magistrats plus coopératifs. « On voyait même des femmes ébouriffées, furieuses comme des bacchantes… courir dans les rues pour ameuter le peuple, les unes avec des pistolets ou des épées nues à la main, les autres avec des sacs d’argent pour les gagner ; certaines criant à tue-tête : ‘Vive la liberté et pas d’impôts’… » écrit un témoin.

Au cours des mois suivants, Anne et Mazarin négocient avec les dirigeants du parlement de Paris et finissent par conclure un accord avec eux. Cependant, cela met en colère de nombreux nobles, car leurs demandes pour une plus grande voix dans la politique sont ignorées. La Fronde parlementaire lancée en 1648 fait place à la Fronde des princes. Des révoltes éclatent dans plusieurs provinces, souvent menées par leurs gouverneurs royaux ou d’autres nobles éminents. Parmi ceux qui se retournent contre Mazarin figure le prince de Condé. Soupçonnant sa traîtrise, Mazarin le fait arrêter en janvier 1650. Les partisans de Condé luttent désormais contre Mazarin, tandis que celui-ci tente de rallier à lui certains des frondeurs d’origine. En février 1651, cependant, la position de Mazarin est devenue si fragile qu’Anne et lui décident de quitter le pays. Condé est libéré de prison et devient la figure dominante d’un nouveau conseil royal.

Les différentes factions du pays continuent à se battre entre elles pendant le reste de l’année 1651, et les circonstances permettent progressivement à Anne d’insister sur le retour de Mazarin. En septembre 1651, Louis XIV est officiellement reconnu comme roi, ce qui confère à sa mère une autorité plus forte. Condé se révolte contre son éviction du pouvoir, mais les forces royalistes parviennent à le vaincre. Le soutien à un retour au gouvernement absolutiste se développe en réaction à la manifestation la plus radicale de la Fronde, le mouvement de l’Ormée à Bordeaux. Poussés à l’extrême par le dur traitement qu’ils avaient subi de la part des factions rivales de la Fronde, les habitants de cette ville s’étaient soulevés et avaient formé un gouvernement révolutionnaire, revendiquant le droit de se gouverner eux-mêmes et de révoquer des fonctionnaires tels que les juges de leur parlement local. Plutôt que de risquer la propagation de ces idées dangereuses, les nobles et les membres du parlement préfèrent aider à restaurer l’autorité du roi, même au prix de permettre à Mazarin de reprendre le pouvoir. À l’automne 1652, les éléments de la résistance frondeuse s’effritent ; Mazarin rentre en France comme principal ministre du jeune Louis XIV, rôle qu’il conservera jusqu’à sa mort en 1661.

La Fronde est restée dans l’histoire de France comme un épisode confus aux effets peu durables. Contrairement à la révolution puritaine anglaise qui s’est produite au même moment, les rebelles français n’avaient pas de programme unificateur. Une grande partie du mouvement était dirigée contre un seul ministre – Mazarin – et les divisions entre les frondeurs devinrent apparentes lorsqu’il se retira de la scène. La révolution anglaise a abouti à une augmentation permanente des pouvoirs du Parlement. La Fronde a au contraire discrédité davantage la notion de toute limite à l’autorité royale en France.

L’expérience de la Fronde a eu un impact particulièrement important sur le jeune Louis XIV. Il a été profondément marqué par l’expérience de devoir quitter furtivement sa capitale désobéissante en 1649. Lorsqu’il devint roi, il s’assura qu’une telle menace à son autorité ne se reproduirait plus jamais. Son insistance sur sa propre autorité absolue et sa décision de déplacer le palais royal du centre de Paris vers un lieu isolé à Versailles reflètent ses souvenirs de la Fronde.