La ruelle tranquille qui mène à la distillerie est parallèle aux voies du chemin de fer original Varsovie-Vienne de 1845. Prononcé, ‘Chu-Rar-Doff’, Żyrardów était une ville industrielle clé à l’époque de la construction du chemin de fer et était donc relié à sa propre gare. Avec son architecture de style conte de fées, cette mignonne petite gare se dresse encore de l’autre côté, sur les rails, quelques minutes avant d’arriver à la distillerie.

Sentant peut-être les temps troublés à venir, les frères Pines, qui étaient juifs, vendirent leur distillerie. Peu de temps après – en 1932 – les nouveaux propriétaires modernisent largement l’équipement pour en faire l’un des plus avancés technologiquement en Europe à l’époque. Puis, en 1939, la fortune de la distillerie et de ceux qui y travaillaient fut anéantie par l’invasion allemande de la Pologne et la Seconde Guerre mondiale qui s’ensuivit.

En 1945, après la fin de la guerre, le nouveau régime communiste nationalisa Żyrardów ainsi que 24 autres installations de production de vodka qui furent toutes rebaptisées « Polmos » suivi du nom de la ville la plus proche. Ainsi, la distillerie Pines est devenue « Polmos Żyrardów ». La distillerie était l’une des rares à être équipée pour rectifier l’eau-de-vie et Żyrardów fournissait de l’eau-de-vie rectifiée à certains des Polmos qui ne distillaient pas. Au cours de cette période, Żyrardów a également mélangé et mis en bouteille diverses marques de vodka, dont elle partageait les recettes et les droits avec les autres Polmos. Il s’agissait notamment de Wyborowa, Zubrowka et Luksusowa, dont les recettes sont toujours détenues par Polmos Żyrardów à ce jour.

L’équipe de mélange de Polmos Żyrardów a cherché à créer leur propre mélange de luxe qui les distinguerait des autres distilleries Polmos. Ils ont appelé leur nouvelle vodka Belvedere d’après le palais Belweder (Pałac Belwederski) à Varsovie. Ce palais royal historique est l’ancienne résidence du maréchal polonais Józef Piłsudski et a été la première résidence de Lech Wałęsa après son élection à la présidence de la Pologne. Le nom du palais se traduit par « beau à voir » et ce bâtiment grandiose mais élégant se trouve au-dessus d’un parc paysager. Les premières bouteilles ont été produites en 1994 et la nouvelle vodka a rapidement acquis une réputation parmi les Polonais pour être parmi les meilleurs disponibles, même à l’époque communiste, elle commandait un prix élevé.

Loin de la Pologne communiste, aux États-Unis, la vodka Absolut était une sensation de la culture pop. Un Américain, Edward Jay Phillips (Eddie, pour ses amis), distributeur d’alcool de troisième génération, s’est demandé si le marché était prêt pour une vodka qui pourrait être commercialisée comme étant encore plus premium qu’Absolut. Avec ses partenaires commerciaux, il s’est donc rendu en Pologne, berceau de la vodka, et a fait le tour du pays et de ses distilleries à la recherche d’un tel liquide. En 1994, Eddie a créé la Millennium Import Company et l’année suivante, après de longues négociations avec le gouvernement polonais, il a acquis les seuls droits américains sur les vodkas Belvedere et Chopin.

Eddie savait que pour positionner Belvedere comme une vodka super premium, il lui faudrait une bouteille super premium. C’est ainsi qu’est née la bouteille de Belvedere, haute, mince et givrée, désormais immédiatement reconnaissable, avec un dessin du palais sérigraphié au dos, apparaissant à travers la fenêtre transparente sur le devant, magnifié par la vodka et encadré par deux arbres couverts de neige. Il s’agit de la première bouteille de spiritueux gravée à l’acide au monde et elle est le résultat d’un développement technique de Saint-Gobain Glass. Sa fabrication implique l’utilisation d’un autocollant en caoutchouc pour protéger une partie de la bouteille, puis l’utilisation d’acide pour « geler » la surface exposée. Un processus d’impression en quatre étapes est ensuite utilisé pour appliquer le texte, l’arbre, le mot « vodka » en bleu, puis la neige sur l’arbre et le code-barres. Enfin, les bouteilles sont ensuite stérilisées dans un four à 700° C.

Resplendissante dans sa nouvelle bouteille, Belvedere a été lancée aux États-Unis au début de l’année 1996 et l’intuition d’Eddie que le pays était prêt pour une vodka super premium s’est avérée exacte puisque les ventes de la marque ont rapidement augmenté.

En 1998, le désir d’assurer la qualité constante de Belvedere a conduit Millennium, en partenariat avec l’État polonais, à investir dans la modernisation des colonnes de rectification de Polmos Żyrardów, passant de deux colonnes à trois colonnes de rectification. L’engagement de Millennium envers la distillerie a été renforcé lorsqu’en octobre 2001, le gouvernement polonais nouvellement élu a privatisé Polmos Żyrardów avec Millennium Imports LLC comme actionnaire principal aux côtés de l’État désormais capitaliste.

Il est apparu que, bien que la vodka Belvedere soit déjà une marque établie en Europe, la marque déposée du nom « Belevedere » aux États-Unis était détenue par la Belvedere Winery de Healdsburg, en Californie. Après des négociations entre les deux sociétés, l’établissement vinicole a accordé une licence à Millennium Imports LLC pour l’utilisation de la marque aux États-Unis. Pendant ce temps, les ventes de Belvedere Vodka ont continué à croître alors que la catégorie des vodkas premium, que Belvedere avait lancée, était soutenue par le lancement de Grey Goose et Ketel One.

Le rôle de leader de Belvedere dans la catégorie des vodkas premium nouvellement apparue a naturellement attiré l’attention de LVMH, le conglomérat de produits de luxe derrière des marques telles que Louis Vuitton et Krug. LVMH sait reconnaître une marque haut de gamme et, en juillet 2002, a acquis une participation de 40 % dans Millennium Imports. Cette participation a été portée à 70 %, puis à 100 % en avril 2005, pour faire de Millennium Imports une filiale à 100 % de LVMH.

Puis, en 2005, William R. Hambrecht, le fondateur de Belvedere Winery, dont la formation était celle d’un banquier d’affaires, a annoncé que sa société avait l’intention d’utiliser la marque Belvedere sur une gamme de spiritueux qu’elle entendait développer avec un autre partenaire. Ainsi, le 10 novembre 2005, Belvedere Winery a mis fin à la licence de Millennium pour l’utilisation de la marque aux États-Unis.

Millennium Imports s’est retrouvée dans la situation difficile de se voir refuser l’accès à la marque d’une marque qu’elle avait déjà établie avec succès en Amérique. Ils n’avaient guère d’autre choix que de continuer à vendre la vodka Belvedere pendant que des solutions étaient explorées. C’est ainsi que Belvedere Winery a intenté une action en justice et obtenu une ordonnance de cessation et d’abstention. En avril 2007, un tribunal fédéral de district californien a jugé que Millennium avait violé sa licence de vente de la vodka Belvedere et que la poursuite des ventes de la vodka Belvedere portait atteinte aux droits de marque de Belvedere Winery.

Millennium s’est retrouvé littéralement courbé sur un tonneau de chai et a été contraint de cesser d’honorer les commandes de vodka Belvedere auprès des distributeurs américains pendant qu’il examinait les options qui incluaient évidemment la négociation pour acheter les droits de la marque à Belvedere Winery. Une somme d’argent non divulguée, mais inévitablement importante, plus tard, et Millennium Imports a acquis la marque Belvedere, ce qui lui a permis de reprendre les ventes de sa vodka aux États-Unis. La Belvedere Winery a été discrètement rebaptisée C. Donatiello Winery.

Par hasard, alors que je vous donne ces informations de base sur les sociétés qui ont possédé et commercialisé la vodka Belvedere, il convient également de dissiper une idée fausse très répandue. La vodka Belvedere n’a absolument aucun lien avec Belvedere Groupe, la société française liée aux liqueurs Marie Brizard et à la vodka Sobieski. Les noms sont simplement une coïncidence quelque peu déroutante.